Je suis un anthropologue qui analyse les conditions de vie d'un groupe de modèles, lâchés dans la nature loin des parents. Au bout de la journée, le livre "Sa Majesté des Mouches" me vient à l'esprit.
Pas de numéro de châlet, je n'ai qu'un nom de camping. Tous les bungalows se ressemblent, c'est du Regelbau version batave. Je les appelle sur leur GSM. Pas de réponse. Appel sur un second numéro. Aucune réponse non plus. Ce n'est que vers 10h qu'on répond. C'est le châlet 17. Sur place, tout est encore fermé. Heureusement qu'il y a l'internet sans fil au camping. Avec mon portable, je recherche des endroits interessants dans la région. Il y a le musée du Mur de l'Atlantique (Atlantikwall) quelques kilomètres plus loin. C'est décidé, c'est là que nous irons.
Finalement, on ouvre la porte. Comme il pleut, je me décide pour un shooting à l'intérieur, dans un studio improvisé. J'ai toujours mon studio de photographie portable en voyage. L'appartement est relativement propre, avec seulement deux chaussettes noires, un paquet de cigarettes, un pot et un tube de gel sur la table. Je ne sais pas s'ils ont déjà mangé.
Le shooting aura lieu dans le living, d'abord individuellement, puis en groupe. 7 modèles, c'est à dire que je dois expliquer les poses au premier, troisième... Un poisson rouge a une mémoire d'élephant en comparaison!
Le "studio shoot" a duré de 10u57 à 12u38 (c'est bien d'avoir une horloge dans l'appareil photo). Raonii prépare à manger. Il déverse un paquet de spaghetti dans une casserolle et met le tout sur le feu, puis ouvre une boite de boulettes à la sauce tomate. Les hommes sont généralement plus techniques que les femmes, mais il n'y a personne qui arrive à mettre le lave-vaisselle en route. Comme enthropologue, c'est pas à moi de leur expliquer.
C'est à la bonne franquette, une auberge espagnole aux Pays Bas: tu prends un bloc de spaghetti et puis tu vas chercher à boire. J'ai trouvé un verre propre tombé derrière la vaiselle. Un verre d'eau du robinet suffira pour moi, merci.
Il ne pleut plus, maintenant, mais il faut encore faire les commissions. Les modèles n'ont pas de voiture et doivent aller à pied au village le plus proche, situé à 4km de là. 4km, c'est environ 30 minutes de marche aller, et presque le double au retour quand ils sont chargés comme des mulets. Je prend quelques modèles en voiture et les dépose à Hoek van Holland. Nous allons au Albert Hein, le Carrefour local.
Une idée! Au lieu de ramener les modèles, je les laisse sur place et je vais chercher les autres. Ils se laissent faire comme des agneaux. Le but est de faire un shoot au port et aux environs de bunkers du Mur de l'Atlantique. Hélâs le musée est fermé. Il y a heureusement suffisament d'endroits interessants dans la région. Nous allons jusqu'au boût du débarcadère et Shiva et Bjorn grimpent jusqu'aux derniers rochers, si loin que je ne peux plus les prendre en photo. C'est ici qu'un modèle laisse tomber ses lunettes de soleil, qui restent coincées dans les rochers, inaccessibles 10m. plus bas. Avec le temps qu'il fait, des lunettes de soleil n'ont aucune fonction pratique.
Je voulais encore faire un shooting à l'ancien port, mais les modèles doivent être rentrés à temps, car ce soir ils veulent aller à La Haye. Comment il vont y arriver est un mystère, il n'y a pas de transport en commun la nuit.
Mais d'abord, il faut manger, c'est à dire que tout le monde sort un truc du frigo et le place dans le magnétron. Une pizza dans un four sans grill, avec les coins brulés et le centre encore surgelé, délicieux! L'avantage, c'est qu'il ne faut pas de vaisselle. Même une fourchette n'est pas nécessaire. A côté de l'évier, il y a un paquet de haché, et tous ceux qui passent prennent un morceau. Avec les doigts, bien sûr, puisqu'il n'y a plus de vaiselle propre. J'avais pris mes précautions après le spaghetti en bloc et j'avais acheté un repas en ville. Avec mon light menu et mon jus de fruits, je suis le seul qui mange normalement. Les autres boivent des red bulls ou l'équivalent local meilleur marché.
C'est normal qu'on se batte lors de sorties. Il est autorisé d'amocher quelqu'un qui n'a pas les mêmes opinions que toi. Mettre des voitures en feu, envoyer des bombes incendiaires vers la police, tout cela c'est autorisé: lis les textes des chansons. Le rap macho parle de meufs tout justes bonnes à se faire enculer, de belles-mères à envoyer à la chambre à gaz. C'est très bien tout cela, mais qui va faire la vaiselle?
Au bout de deux jours, nos petits boys flamands sont déjà connus au camping. Quand je me présente à la réception pour demander un jeton de parking on me demande de mieux m'occuper de l'éducation de mes enfants!
Au lieu d'aller en groupe à la plage, j'y suis allé seul. Une belle journée qui se termine par un beau soleil couchant. Pendant les deux jours que nos boys ont passé au camping, ils n'ont pas encore eu l'occassion (ni la volonté, je suppose) d'aller jusqu'à la plage.
Une heure plus tard, je suis de retour au camping, je suis prêt à partir, moi vers Ostende, les modèles vers La Haye. Mais ils sont toujours couché dans leurs fauteils (à l'intérieur, alors qu'il y a maintenant un soleil couchant resplendissant). C'est pas que la musique soit inaudible à l'extérieur: je l'entend sur le parking, distant de 50m. Un peu plus de cannettes de bière et de boûts de cigarettes par terre. Je vois maintenant où William Golding a été chercher son inspiration pour "Sa Majesté des Mouches". Il est probable qu'ils vont rester couché jusqu'au vendredi.
Tous ont des bandelettes d'accès aux festivals,
un signe de statut social
Regarder les photos pendant que Raonii et Skippy préparent le repas.
Le musée de l'Atlantikwall est fermé...
Sur un bunker. Notre Johnny de service a encore ses lunettes de soleil
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